Offensive russe en Ukraine orientale : analyse d’une progression accélérée et de ses implications stratégiques
Une accélération notable dans l’est de l’Ukraine
Selon les données de l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW) et du Critical Threats Project, analysées par l’AFP, les forces russes auraient réalisé mardi leur plus importante avancée territoriale en 24 heures depuis plus d’un an. Cette progression s’inscrit dans une tendance observée depuis plusieurs semaines, marquée par une vitesse d’avancée mensuelle croissante depuis avril.
Au 12 août, l’armée russe aurait conquis environ 6 100 km² sur douze mois, soit quatre fois plus qu’au cours de l’année précédente. Cela représenterait néanmoins seulement 1 % du territoire ukrainien d’avant-guerre, incluant la Crimée et le Donbass. Aujourd’hui, la Russie occuperait de manière totale ou partielle environ 19 % de l’Ukraine.
Pokrovsk au centre des préoccupations
Une carte publiée par le site spécialisé DeepState montre une avancée estimée à une dizaine de kilomètres au nord-est de Pokrovsk, dans la région de Donetsk. Les experts portent une attention particulière au secteur situé au nord de cette ville jugée stratégique. L’état-major ukrainien a fait état, mardi matin, de combats dans le village de Koutcheriv Iar, jusqu’alors éloigné de plusieurs kilomètres de la ligne de front. Mercredi, Moscou a annoncé la prise de Nykanorivka et Souvorové, au sud-ouest de Dobropillia.
Analyses et prudence autour de la notion de « percée »
L’ancien officier ukrainien et analyste open source Tatarigami_UA estime qu’il est prématuré de qualifier ces mouvements de « percée opérationnelle », bien qu’il considère la situation préoccupante. Il souligne qu’une pénétration des lignes défensives pourrait, si elle s’élargit et mobilise des forces supplémentaires, se transformer en percée majeure. Selon lui, le groupement russe en direction de Pokrovsk compterait plus de 100 000 hommes, ce qui accroîtrait le risque d’une extension rapide de l’offensive.
De son côté, Michael Kofman, analyste en défense à la Fondation Carnegie, partage l’idée qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives, tout en estimant plausible un scénario menant à un repli accéléré des forces ukrainiennes. Il mentionne les risques pour Druzhkivka, Kramatorsk et Sloviansk.
Une offensive estivale marquée par des gains progressifs
Malgré un rythme qualifié de relativement lent par certains observateurs, les gains russes se sont cumulés ces dernières semaines. Un reportage de CNN souligne que la Russie mise sur une succession de petites avancées, accompagnées d’un emploi accru de drones capables d’atteindre des zones auparavant considérées comme sécurisées pour Kiev.
Des militaires ukrainiens interrogés sous anonymat par CNN ont exprimé leurs craintes d’un encerclement possible de Pokrovsk, mais aussi de Kostiantynivka et Koupiansk. Une telle situation priverait l’Ukraine de positions clés dans la région de Donetsk et pourrait exposer ses troupes à des attaques à plus longue portée.
Facteurs internes et critiques de commandement
Des analyses, dont celles de Michael Kofman, évoquent un manque de cohésion dans les défenses ukrainiennes et des effectifs parfois insuffisants pour tenir certaines positions. Il note également que la politique consistant à maintenir des lignes à tout prix, même en situation défavorable, pourrait limiter la flexibilité tactique sur le terrain.
Une enquête du Wall Street Journal rapporte des témoignages de soldats ukrainiens décrivant un mode de commandement très centralisé, hérité de la doctrine soviétique, perçu comme limitant l’initiative locale et pouvant entraîner des pertes évitables. Certains attribuent ces choix stratégiques au général Oleksandr Syrskyi, commandant en chef depuis 2024, critiqué par des militaires pour des décisions jugées trop coûteuses sur le plan humain et pour un style de direction laissant peu de marge aux échelons subalternes.
Perspectives et enjeux politiques
Pour Tatarigami_UA, Moscou pourrait être à l’apogée de ses capacités offensives dans cette zone, et chercherait à maximiser ses gains avant la rencontre prévue le 15 août entre Vladimir Poutine et Donald Trump. Selon lui, créer des conditions difficiles pour les forces ukrainiennes à ce moment-clé renforcerait la position russe dans d’éventuelles discussions diplomatiques.
Les prochains jours devraient permettre d’évaluer si la Russie dispose encore de ressources pour intensifier l’offensive en cours ou si elle a déjà atteint la limite de ses capacités sur ce segment du front.