Avortement en Suisse : trajectoires de trois femmes entre clandestinité et légalisation (1968-2021)

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Des témoignages éclairant l’évolution du droit à l’avortement

Le 20 septembre dernier, deux mille personnes manifestaient à Zurich contre l’avortement. Trois femmes, Dominique (74 ans), Tiziana (35 ans) et Céline (32 ans), prennent la parole pour raconter leur expérience respective à des époques différentes, offrant un éclairage sur le cadre légal et sur les préjugés qui subsistent.

1968 : clandestinité, peur et risques

Dominique avait 17 ans lorsqu’elle est tombée enceinte à Lyon, en 1968, dans un milieu où la sexualité était peu discutée et où l’éducation à la contraception faisait défaut. Elle se souvient ne rien savoir et voit son partenaire, plus âgé et expérimenté, utiliser une méthode dite du retrait, considérée à l’époque comme efficace.

Lorsque ses règles n’arrivent pas, le gynécologue annonce simplement : Mademoiselle, vous êtes enceinte, sans accompagnement ni conseils. Garder cette grossesse équivaudrait, pour elle, à se jeter dans le Rhône.

Son compagnon organise alors un avortement clandestin en banlieue lyonnaise. Le récit évoque un appartement où plusieurs hommes regardaient un match de foot et une femme qui ouvrait la porte; Dominique se rappelle avoir été mort de trouille.

Tiziana, alors âgée de 35 ans, décrit l’intervention réalisée par une faiseuse d’anges utilisant des canules pour déclencher un saignement et expulser le fœtus. Les complications apparaissent rapidement : saignements constants et pâleur, et difficulté à consulter un médecin sans risquer d’être dénoncée.

2002 : la légalisation jusqu’à 12 semaines et les expériences difficiles

En 2002, la Suisse légalise l’avortement jusqu’à 12 semaines. Tiziana, tombée enceinte malencontreusement lors du Paléo Festival malgré pilule et préservatif, bénéficie de ce cadre légal et reçoit le soutien inconditionnel de sa mère : C’est ton choix, c’est toi qui choisis.

Cependant l’expérience demeure complexe. Au planning familial de Fribourg, elle tombe sur un gynécologue qui lui montre le cœur du fœtus pour la dissuader, une pratique qu’elle juge inadéquate.

L’intervention a lieu à l’hôpital. Dans la salle d’attente de la maternité, des femmes enceintes affichent leur joie, tandis qu’elle se rend là pour avorter à sept heures du matin, ce qui la met mal à l’aise.

Six mois plus tard, elle organise un rituel en forêt avec sa grand-mère pour dire adieu. Aujourd’hui, elle n’éprouve pas de regrets et rappelle qu’elle avait alors 22 ans et peu de stabilité financière, tout en affirmant que cette expérience demeure fréquentée dans sa mémoire.

2021 : un avortement dans le cadre d’un couple établi

En 2021, Céline vivait depuis dix ans avec son compagnon. Tous deux doctorants et sans situation stable, ils avaient décidé d’attendre avant d’avoir un enfant. Pour Céline, qui entretenait une relation difficile avec son corps, la grossesse semblait alors impensable.

L’idée de voir son corps se déformer et d’abandonner le sport qu’elle aime était difficile à accepter. Sa gynécologue, avec qui elle a une confiance totale, l’accompagne et elle choisit un avortement médicamenteux à domicile. L’expérience reste douloureuse : je me suis retrouvée pliée en deux dans mon lit, avec l’impression qu’on m’arrachait le ventre.

Le lendemain, son compagnon manifeste peu d’empathie et lui demande ce qu’ils mangent à midi, ce qui contribue à mettre fin à leur relation.

Entre le drame des années 1960 et les questionnements contemporains, ces récits illustrent le chemin parcouru tout en rappelant les défis qui subsistent. Comme résume Dominique : Ce droit a été acquis très difficilement. Il faut absolument, absolument continuer à se battre.

Luigi Marra / RTS