Suisse au Niger : poursuivre l’aide au développement malgré un contexte sécuritaire instable
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Contexte et engagement de la Suisse au Niger
Claudio Tognola se souvient de son passage dans la savane ouest‑africaine lorsque, étudiant dans les années 1990, il a effectué un stage sur le terrain au Niger, pays enclavé, durant ses études de géographie à l’Université de Lausanne, une expérience qui l’a profondément lié au pays.
Aujourd’hui, il travaille pour la Direction du développement et de la coopération (DDC) au Niger.
Parcours personnel et présence actuelle
Trois décennies après cette première opportunité professionnelle, il évolue dans un État et une région marqués par des flux migratoires vers l’Europe, et par des enjeux de sécurité renforcés par la violence djihadiste et les rivalités entre grandes puissances.
« À l’époque, j’allais partout et nous dormions n’importe où, même dans la brousse la nuit. Nous nous déplacions sans aucune précaution de sécurité », raconte Claudio Tognola. « La situation a radicalement changé. »
Le Sahel et le Niger face à des crises qui se croisent
La région sahélienne, riche en ressources et s’étendant sur environ 5400 kilomètres de la mer Rouge à l’Atlantique, est confrontée à des crises qui se superposent et influent sur les choix européens en matière de sécurité, d’accueil des réfugiés et de lutte contre les menaces terroristes. Le Niger figure sur l’une des principales routes migratoires vers le nord, passer par l’Algérie et la Libye, avant les traversées de la Méditerranée vers l’Europe.
Un projet d’approvisionnement en eau potable dans la région de Maradi, financé par la Direction du développement et de la coopération suisse, est prévu pour avril 2025.
Une situation qui s’envenime et ses répercussions régionales
Selon des chiffres relayés par Swissinfo et tirés d’un rapport interne de l’Union européenne, le Niger a connu une période marquée par de nombreuses attaques violentes, avec plus de 90 incidents enregistrés entre juin et août.
La France et les États‑Unis, historiquement présents sur le terrain, se sont retirés, tandis que la Russie a comblé le vide laissé par ces départs. Dans ce contexte, la Suisse a choisi de rester engagée et de poursuivre ses projets de développement.
« Il existe un risque que cette violence déborde au‑delà de la région », observe Tognola, qui réside actuellement à Niamey. « En Europe, nous sommes en première ligne et nous avons donc une responsabilité face à cette situation. »
Rupture avec la France et les États‑Unis et montée des intérêts russes
Le coup d’État militaire de 2023 a renversé le gouvernement élu du président nigérien Mohamed Bazoum, qui entretenait des relations positives avec la France, ancienne puissance coloniale, et avec les États‑Unis. Son éviction a constitué un revers majeur pour les intérêts occidentaux. Le Niger avait notamment collaboré avec l’Union européenne pour réduire les filières de trafic d’êtres humains et avait autorisé les bases françaises et américaines dans leur lutte contre les groupes djihadistes.
Nouvelles alliances et ressources stratégiques
Les relations se sont détériorées après le coup d’État, jusqu’au départ des armées française puis américaine, remplacées par des soutiens militaires et des formateurs russes. Les autorités nigériennes ont aussi pris le contrôle des activités d’extraction d’uranium de la société nucléaire publique Orano.
Le mois dernier, le Premier ministre Lamine Zeine Ali Mahaman a accusé la France de « former, financer et équiper des terroristes » pour déstabiliser le Niger, accusation sans preuves présentées devant les Nations unies, tandis que Paris a démenti ces propos.
Outre l’uranium, le Niger détient d’importantes réserves de pétrole, de charbon, de phosphate et d’or, attirant l’attention des grandes puissances, notamment européennes, russes et chinoises. Un oléoduc long de près de 2000 kilomètres relie le Niger au Bénin, symbole des flux énergétiques régionaux. En août, le Niger a pris le contrôle de la seule mine d’or à échelle industrielle du pays, exploité auparavant par une société australienne, tandis que des responsables russes ont exprimé leur intérêt pour l’exploitation de l’uranium.
La stratégie russe et les dynamiques régionales
Selon l’ancien ambassadeur français en République centrafricaine, la présence russe au Sahel viserait à renforcer son influence stratégique, à obtenir des voix supplémentaires à l’ONU et à retrouver une position qui rappelle l’époque soviétique. Le même débat a été alimenté par des déclarations d’un porte‑parole des putschistes accusant Paris de déstabiliser le Niger, et par des manifestations publiques arborant des symboles russes.
Du côté des médias russes, le renversement de Bazoum a été présenté comme le signe d’une vague de « libération de l’Afrique de l’Occident », promettant un rapprochement plus étroit avec la Russie.
Positionnement et suivi de la Suisse
Depuis le coup d’État, la Suisse a ajusté ses programmes afin d’éviter tout soutien direct au gouvernement, et ses investissements se situent désormais autour de 22–23 millions de francs suisses par an, soit environ 15 % de ses investissements dans ce domaine.
« La Suisse reconnaît les États et non les gouvernements », souligne Claudio Tognola, ce qui permet de maintenir un dialogue et de poursuivre des actions de coopération répondant à des besoins concrets au Niger. Cette aide participe à faire face à des difficultés locales, notamment lors de la saison des pluies qui a causé 47 décès et déplacé 50 000 personnes, tout en offrant des alternatives éducatives et professionnelles aux jeunes exposés à la violence et à la criminalité.
Dans le cadre d’un projet éducatif alternatif mené par la Suisse, une classe d’enfants à Malgorou illustrait, en mars 2025, les effets positifs des activités mises en œuvre avec les partenaires locaux.
« Fondamentalement, la pauvreté est la cause profonde de la violence », résume Tognola. « Les projets de coopération suisse au Niger s’attaquent aux causes profondes de l’insécurité et visent à offrir des opportunités qui favorisent la cohésion sociale et réduisent les risques liés à la violence et à l’extrémisme. »